Locaux de rétention administrative à Mayotte : pour tenter de sauver la face, le Préfet s'enfonce dans le mensonge

À Mayotte, où le centre de rétention administrative de Pamandzi est en état de suroccupation chronique, les créations répétées, parfois pour quelques heures à peine, de locaux de rétention administrative (LRA) de « délestage » pour y enfermer des personnes en attente d’expulsion sont récurrentes. Avec l’opération Wuambushu, la machine s’est emballée : entre le 17 mars et le 19 avril le préfet a pris 44 arrêtés créant des LRA, pour des durées pouvant aller de 2 heures à 5 jours.

Au mépris de la loi, aucun de ces arrêtés n’a été publié avant l’ouverture des locaux qu’ils créaient, 4 ont été publiés le jour de l’ouverture (qui correspondait aussi au jour de fermeture du local) et 40 ont été publiés postérieurement à leur fermeture, faisant des rétentions dans ces locaux autant de détentions arbitraires. Autant dire que le préfet a tout fait pour empêcher un contrôle juridictionnel.

Constatant de plus que les conditions de rétention dans ces locaux n’offraient aucune des garanties prévues par les textes applicables, l’ADDE, la Cimade, le Gisti et le SAF ont saisi le tribunal administratif de Mayotte, le 21 avril, d’une requête en référé-liberté, lui demandant :
- d’enjoindre au préfet de Mayotte de cesser la pratique récurrente visant à la création successive de LRA prétendument temporaires et dont le caractère éphémère et aléatoire n’est justifié ni par le droit ni par les faits à Mayotte ;
- d’ordonner toute mesure utile afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales des personnes placées en local de rétention administrative à Mayotte, sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard.

Dans son ordonnance datée du 29 avril, le juge des référés a pour l’essentiel donné raison aux associations, jugeant :
- sur le premier point, que « la succession régulière de fermeture et de réouverture, à quelques heures d’intervalle, des mêmes locaux de rétention administrative est dépourvue de toute justification »
- et sur le deuxième point, que « les associations et le syndicat requérants sont fondés à soutenir que les conditions de rétention dans les locaux de rétention administrative régulièrement créés par le préfet de Mayotte ... ne permettent pas aux personnes retenues de contester utilement leur éloignement et leur placement en rétention administrative et portent ainsi une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction ».

Or le préfet semble totalement passer outre cette décision de justice puisqu’il a publié un communiqué sur Facebook affirmant le contraire : le tribunal « a rejeté ce jour la demande de fermeture des locaux de rétention administrative de Mayotte », dit-il, ajoutant qu’il « accueille avec satisfaction cette décision qui atteste de la légalité de ces structures, à la fois dans leur création, dans leur organisation et dans leur fonctionnement, ainsi que de leur conformité à la loi ».

Ce faisant, le préfet contredit allègrement les termes mêmes de l’ordonnance du juge des référés qui estime :
- que la pratique consistant à différer la publication des arrêtés de création des LRA « fait obstacle au contrôle effectif des conditions de rétention dans ces locaux par le procureur de la République et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté alors que ceux-ci sont chargés de veiller à ce que les conditions de rétention garantissent l’exercice effectif de leurs droits par les personnes retenues »
- que « cette pratique fait également obstacle à la présence de l’association Solidarité Mayotte, chargée à Mayotte d’assister les personnes placées en rétention administrative en application de l’article R. 744-21 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) », de sorte que le juge des référés « enjoint au préfet de Mayotte de se rapprocher de l’association Solidarité Mayotte pour évaluer avec elle les aménagements devant être mis en œuvre pour lui permettre d’exercer effectivement sa mission d’assistance »
- et, enfin, que " l’accès libre à un téléphone n’est pas assuré en pratique dans les lieux de rétention administrative en litige", contrairement aux prescriptions du 9° de l’article R. 761-5 du Ceseda, de sorte que le juge des référés « enjoint au préfet de Mayotte de prendre les mesures techniques nécessaires pour permettre aux personnes retenues dans les locaux de rétention administrative d’avoir accès à un téléphone leur permettant de passer au moins un appel de leur choix. »

C’est donc dans la succession de ces rappels à l’ordre quant aux conditions de rétention que le préfet voit une décision qui « atteste de la légalité de ces structures ». Faut-il lui rappeler que le juge des référés a au contraire ordonné que : « Le préfet de Mayotte justifiera des mesures prises pour l’exécution des injonctions prononcées aux trois articles précédents avant le 2 mai 2023 à 12h00, heure locale, sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard » ?

De ce déni des règles de droit rappelées par une décision de justice, on retiendra que ce préfet a préféré communiquer des mensonges sur la sanction juridictionnelle des conditions de son opération Wuambushu plutôt que d’en reconnaître les failles.

Après la décision du tribunal judiciaire lui ordonnant « de cesser toute opération d’évacuation et de démolition des habitats », ce nouveau constat d’illégalité par le juge administratif vient rappeler que, même à Mayotte, tous les coups ne sont pas permis, et que la « restauration de la paix républicaine » dont se gargarise le ministre de l’intérieur ne saurait s’appuyer sur la violation des droits fondamentaux.

1er mai 2023

Signataires :

  • ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers)
  • Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·es)
  • SAF (Syndicat des avocats de France)





Mayotte : il est urgent d'y rétablir le droit

11 avril 2023

Alors que l’attention médiatique (re)découvre la problématique de la répression policière et que les violences institutionnelles et policières sont dénoncées jusqu’au Conseil de l’Europe et par des rapporteurs de l’ONU, une inquiétante opération militaro-policière est en train de se mettre en place à Mayotte, sous l’impulsion d’un ministre dont la tendance autoritariste et illibérale n’est plus à démontrer.

Mayotte, département de la République française depuis 2011 compte environ 300 000 habitants répartis sur 376 km². 80 % des habitants y vivent sous le seuil de pauvreté[1].

A l’exceptionnelle pauvreté de cette collectivité française, s’ajoute un droit d’exception et des obstacles à l’accès au droit qui sont souvent insurmontables.

Sur le non-accès au droit, rappelons qu’il n’y a que 10 avocats pour 100 000 habitants, contre 103 pour 100 000 en métropole. En outre, bien que la majeure partie de la population soit éligible à l’aide juridictionnelle en raison de l’extrême pauvreté, le bureau d’aide juridictionnelle ne dispose que d’un poste de greffier pour toutes les matières et n’est ouvert que sporadiquement avec des horaires variables, rendant difficile le simple dépôt d’une demande.

A l’insuffisance de professionnels et de fonctionnaires, s’ajoutent les difficultés matérielles : la plupart des habitants de l’île ne disposent pas d’une adresse postale et doivent être convoqués aux audiences par SMS ou appel téléphonique, les formulaires de demande d’aide juridictionnelle mis à la disposition des justiciables sont désuets et incomplets, la dématérialisation de la demande d’aide juridictionnelle est impossible en raison de la fracture numérique que subissent la plupart des habitants compte tenu de leur précarité.

Le droit applicable à l’île est une somme de dérogations, d’exceptions à la norme, qui entraînent des violations graves aux droits fondamentaux des personnes qui habitent l’île.

La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi condamné la France le 25 juin 2020 dans l’arrêt Moustahi pour avoir éloigné des mineurs sans recours effectif dans le cadre d’une opération d’éloignement collectif interdit par le droit du Conseil de l’Europe, en rattachant des mineurs de façon arbitraire à des adultes privés de liberté pour pouvoir les éloigner vers les Comores.

Cette pratique se poursuit quotidiennement.

Les opérations de démolition de logements informels dans lesquels des familles vivent parfois depuis des décennies se sont multipliées depuis la fin de l’année 2020 (plus de 1800 habitations détruites ce qui concerne plus de 8500 personnes). Il est arrivé que des mineurs reviennent de l’école pour se retrouver sans logement et ne sachant pas où leurs parents se trouvent lorsque ceux-ci font l’objet d’éloignements expéditifs et abusifs. La France place ainsi des mineurs dans des situations de vulnérabilité et de danger intolérables. Les personnes visées par les arrêtés de démolitions qui réussissent à saisir le juge administratif pour contester ces arrêtés, obtiennent systématiquement gain de cause car l’État ne respecte pas ses obligations.

Face à la misère sociale qui explose à Mayotte, le gouvernement, qui soutient les ambitions du ministre-démolisseur Darmanin, répond, comme à son habitude, par plus de répression et l’organisation d’une opération militaro-policière de destruction massive. 500 gendarmes mobiles ont ainsi été envoyés afin d’accélérer la démolition des logements informels et garantir l’éloignement des étrangers sans titres de séjour. Une compagnie de CRS est également prévue.

Nos associations sont extrêmement inquiètes des conséquences humaines que l’opération militaire lancée par le gouvernement français à Mayotte va entraîner. Les magistrats ont déjà exprimé leurs craintes de voir la justice instrumentalisée dans un contexte où l’accès au droit est mis à mal par l’absence de moyens humains et matériels et par la précarité des justiciables. Le personnel soignant a publié une appel au gouvernement français car ils appréhendent les effets directs et collatéraux de l’opération « Wuambushu » sur leurs patients, qu’ils soient français ou étrangers. Cette opération d’une exceptionnelle envergure ne peut que conduire à des conséquences tragiques.

Le Syndicat des Avocats de France, avec l’ADDE, a décidé d’organiser une mission d’observation à Mayotte dans le but de publier un rapport sur l’accès au droit, sur le respect des droits fondamentaux des habitants du département de Mayotte et pour recueillir des données en vue de formuler des observations devant le Comité des droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui se réunit en juin 2023 pour examiner le respect par la France de l’exécution de l’arrêt MOUSTAHI du 20 juin 2020.

Cette mission est soutenue par nos organisations et par les barreaux de Bobigny, Lyon, Nantes et Toulouse.

Nos organisations appellent les autorités à faire cesser cette escalade de la violence et demandent aux responsables sur place de faire respecter l’État de droit.  

[1]Ce taux est de 14 % en métropole


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